Il ya bien longtemps que Francis Ngannou savait que son physique devait être une arme pour son pays. Entre rêve d’enfant et réalité divine, le MMA a tranché. Nous sommes allés à la rencontre de Maurice Happi. L’oncle et parent adoptif de Francis Ngannou raconte l’histoire fabuleuse de son fils qui a commencé par une inspiration de sa part, de le sortir de Batié pour embrasser les opportunités qu’offre la ville de Douala.
Bonjour Monsieur. Vous n’avez plus mis de côté votre raquette de tennis depuis de longues années, mais c’est le MMA qui a pris la place ?
Je m’appelle Maurice Happi, je suis joueur de tennis pour le moment. Je suis âgé de 70 ans à peu près (juillet 2020, ndlr), et je suis sur le court de tennis depuis que j’ai eu 12 ans. Mais pendant très longtemps, j’ai été directeur technique national de tennis. Je suis sorti de l’administration (il est à la retraite, ndlr) par l’université de Douala où j’ai été chef service des sports pendant une dizaine d’années. Je suis professeur certifié d’éducation physique, avec une spécialité dans l’enseignement du tennis.
Aujourd’hui, vous êtes plus sollicité pour parler d’une discipline sportive que vous n’avez ni enseigné ni pratiqué, le MMA. Vous y êtes plongé par le biais de votre fils. Cela vous va bien ?
Mon fils adoptif est aujourd’hui sur la scène internationale comme un des meilleurs du monde en MMA, c’est pour cela que je suis emmené à parler de cette discipline avec les journalistes que vous êtes, car je ne peux pas rester indifférent devant ce résultat.
Quand je le prends chez moi à Douala, Je l’invite à venir au tennis, mais cela ne l’emballe pas. Lui, veut faire la boxe. Il me dit : « papa, j’ai envie de boxer ». Ici au tennis, il a l’impression que ses camarades le repoussaient. Quand il rentre à la maison, il m’explique qu’il ne s’épanouit pas où je l’emmène, il veut aller là où il y a la boxe. C’est comme ça que je prends contact avec Jean Paul Mognemo qui est à l’époque entraineur provincial de boxe. Je lui emmène le jeune et je lui dis que j’aurais aimé que mon fils fasse les lancers. Je suis certain que s’il fait le poids, le disque ou le javelot, j’aurai une médaille d’or africaine. Mais jusque-là, cela ne le motive pas. Quand je le confie à Mognemo, l’entraineur dit qu’il lui faut les gants de boxe et des équipements. Je dis que je n’ai pas d’argent et il m’entend le dire à son coach. Quand nous finissons de parler entre coaches, il s’en va demander à Mognemo combien coûte tout ce matériel. Je crois que Mognemo lui a donné un chiffre de 40.000 Fcfa. Quelques temps après, il me dit : papa, j’ai besoin de 40.000 Fcfa, et voici les modalités de remboursement. Avant d’arriver chez moi, il travaillait dans les carrières de sable à Batié. Il avait peut-être gardé son argent quelque part. C’est comme ça qu’il a pu avoir son matériel.
Comme vous habitiez Bonamoussadi, à une bonne vingtaine de kilomètres de New-Bell le lieu d’entrainement, il y a eu la solution du vélo, nous a rappelé le coach Mognemo. Vous confirmez ?
Celui-là n’oublie rien. Je ne sais pas comment on a fait, mais on est parti lui trouver un vélo. Il roulait à bicyclette de Bonamoussadi à New-Bell, moi je voyais seulement un enfant satisfait et content. Pendant trois années, il a été avec moi et dans un calme étonnant. Je lui ai d’ailleurs demandé comment il se portait à son nouveau sport. Il me dit j’ai battu quelqu’un là-bas, mais on ne peut même pas en parler. J’appelle Mognemo pour en savoir plus, et il me dit qu’effectivement, on ne peut pas parler de victoire maintenant, car nous sommes en train d’affiner sa technique qui n’est pas encore fluide. Tout est parti tellement vite. Il me dit un jour qu’on l’a recruté pour être gardien de boîte de nuit ou d’un snack, j’ai dit non, je ne veux pas un truc comme ça.
Je ne m’intéressais pas trop, l’essentiel pour moi c’était qu’ils aient à manger à la maison. C’est après même que j’apprends qu’il décharge les camions de friperie au marché Mboppi. J’étais content pour lui, parce qu’il mettait sa force en valeur. Ce Monsieur (Francis Ngannou) c’est un battant, en un mot. Il n’a pas attendu qu’on fasse pour lui. Je savais qu’il va saisir sa chance une fois qu’il en aura l’opportunité. Il ne s’est jamais opposé quand vous lui apportez la brutalité, malgré sa force. Quand tu lui fais la brutalité, il te laisse le passage.
C’est aujourd’hui que je le vois parler, et à chaque fois, je suis surpris. C’est un monsieur qui ne savait pas parler. Auparavant, quand le vent venait, il laissait le passage.
Pourquoi vous refusez qu’il soit gardien de boite de nuit ?
Parce que j’avais des rapports sur certains travailleurs de ce secteur qu’on ne payait pas, et je ne voulais pas qu’il soit dans une situation où il doit réclamer un salaire à quelqu’un. Cela pouvait être trop brutal. Après, il m’a dit qu’il voulait faire l’armée, le BIR. Mais il avait déjà 24 ans, c’était trop juste pour entrer dans l’armée. Il a quitté la maison sans me dire, mais par combine avec sa petite sœur qui était aussi chez moi. Son père qui était mon frère est décédé depuis très longtemps, et je les ai pris chez moi à bas âge. C’est pour ça que je me suis permis de les sortir du village pour la ville de Douala.
Avant qu’il ne parte du Cameroun, il n’était plus chez moi, il louait une chambre quelque part, car son travail de déchargeur de friperie lui donnait déjà un peu d’argent. Il est donc parti du Cameroun avec la complicité de sa sœur qui était au courant de tout et me l’avait caché. Un de ces jours, je reçois un appel de Francis depuis le Maroc. J’ai commencé à prendre peur, car j’avais pensé à le voir en difficulté dans l’eau. Il n’a pas appris à nager, et c’est la seule idée qui m’a développé la crainte à partir de ce moment. J’étais vraiment inquiet, et la combine, c’était qu’on ne doit plus m’informer. Trois semaines après, il m’appelle pour me dire qu’il est en Espagne. Quand je demande des explications, il me dit qu’il va me les donner quand il va arriver à Paris : « je me bats pour arriver en France, puis je vais t’expliquer », m’a-t-il dit. Il m’a rappelé après pour me dire qu’il avait trouvé une salle d’entrainement à Paris.
Tout est devenu flou dans ma tête après, quand il m’a dit je vais combattre. Mon combat a lieu dans deux jours. Je tremblais même à l’idée en disant : on va te tuer, quand il m’a dit qu’on lutte avec les mains, les pieds, avec tout, et que quelqu’un peut mourir. Je ne connaissais pas cette discipline sportive avant.
Un matin, sa sœur vient me montrer les images de son premier combat. Je vois Francis au milieu d’un truc incroyable (la cage, ndlr). Et il a gagné. C’est à partir de ce moment que je me suis tassé. Je me suis dit : Enfin !
Il y a deux mois, quand il allait pour son dernier combat, il vous a parlé avant ?
Maintenant, mon désir, c’est de le voir gagner. Je ne regarde pas ses combats, parce que je peux attraper une crise. Parce que j’ai l’impression que je sais ce qu’il doit faire et il ne le fait pas. Alors que je ne sais rien de cette spécialité. Même après les combats, quand je parle, il ne répond pas, parce qu’il sait que je ne sais rien, et je ne sais rien effectivement.
Connu en France et aux Etats Unis, il commence à entrer dans les cœurs des Camerounais. Une fierté ?
Il faut avouer qu’il a une vie, c’est une satisfaction. Ses frères sont nombreux, et chacun a une vie quelque part. Je suis satisfait pour lui parce qu’il y a une branche de la famille qui est garantie. Tous les problèmes laissés par son père a des solutions aujourd’hui grâce à lui. A traves Francis, toute notre famille peut se vanter de s’élever d’une manière ou d’une autre.
Des investissements de Francis en vue ?
Il est là pour ses affaires personnelles que je ne vais pas dévoiler ici.
Il a gardé la même relation avec ses amis d’enfance ?
Il m’a rendu une visite inopinée à la maison quand il est arrivé. Tous ses amis savaient avant moi qu’il va arriver. Quand je sors, je vois une population devant ma maison. Il a accordé une séance photos de plus de quarante minutes. Chacun voulait être tout seul à côté de Francis.
Avez-vous des fois enrégistré de plaintes de voisins pour mauvaise conduite ?
Je vous ai dit plus haut que Francis esquivait même le vent. C’est cela le caractère d’un champion. C’est un garçon qui encaisse beaucoup, mais il faut se méfier, car quand il veut répliquer, c’est mortel. Tous les champions sont comme ça, explosif. Francis est explosif ! Il le tient de son père qu’on appelait « piment ». Si on pouvait considérer que son père était violent, lui a hérité d’une réplique qui vient à temps.
On sait que les champions de ce niveau sont souvent courtisés par plusieurs nations. Il vous parle souvent des sollicitations des pays pour un changement éventuel de nationalité ?
Il est grand, il est majeur. Il peut gérer sa vie comme il veut. Je me bats pour tout ça, car tous mes enfants sont à l’étranger. Je souhaite qu’il reste des patriotes. Francis a déjà mis un pied au Cameroun. J’insiste pour dire qu’il a mis un Grand Pied au Cameroun. Aujourd’hui, Francis n’est plus n’importe qui au Cameroun. Il est même plus au Cameroun qu’ailleurs.
On parle de plus en plus de son combat avec Hoga ici au Cameroun. Vous êtes au courant ?
(Rires). Vous me votez rire, mais je ne sais pas ce que je vais dire, car je vois Hoga très excité et prêt à relever le défi. J’espère qu’il va effectivement relever le défi. Il ne peut pas parler tant sans avoir les armes. Moi-même j’attends de voir ce qui va se passer.
Chacun a un choix de combattant dans ce duel Camerounais. On dit qu’on soutient toujours celui qui semble le moins fort. Vous soutenez qui dans ce duel ?
Ne me posez pas ce genre de question. Il faudrait que le hasard renverse les choses, mais on sait bien qui va gagner.
Le buzz de cette histoire a fait concurrence dans les foyers avec Covid 19. L’affaire Hoga- Ngannou a ramené quelques sourires au Camerounais. Comment avez-vous apprécié ?
Autour de chaque événement, il y a des gens inspirés qui créent quelque chose. Ceci est une invention très plaisante qui amuse, mais qui transmet aussi un message. C’est une publicité pour Francis, et j’y ai trouvé un très grand message d’humilité.
Entretien réalisé par David Eyenguè