Francis Ngannou, de Batié à Las Vegas.

 

Parcours d’un surdoué de la boxe. Ce n’est pas dans les studios feutrés des médias que le Camerounais se sent le plus  en forme, mais plutôt tout près des arènes où on bagarre, dans un ring de boxe  ou dans la cage de MMA.

Le champion Camerounais de Mixed Martial Art  (MMA) est arrivé dans son pays après une longue période de confinement pour des vacances, mais surtout pour répondre à un défi lancé par l’artiste humoriste Hoga qui lui a promis une défaite dans un combat en moins de 10 secondes. Lui qui n’aime pas perdre les défis, a tout donné pour être parmi les privilégiés d’un avion Air France qui  est arrivé au Cameroun en cette période où les vols se comptent au bout des doigts, pour préparer ce combat du championnat du monde face à un Camerounais dans les mêmes conditions que son challenger. Francis Ngannou, bien que très disponible pour les nombreux fans ( les photos pullulent sur la toile), n’a pas voulu accorder d’interview à la presse, avant la conférence de presse en prélude à son combat. Les jeunes boxeurs qui s’entrainent dans la salle du Dr Kuissi à New Bell à Douala ont eu droit à une visite éclair de leur idole qui leur a tracé son parcours de Batié à Las Vegas, un parcours où il raconte ses envies de faire de « la bagarre », jusqu’à  sa place de privilégié aujourd’hui,  de challenger mondial des super-lourds du MMA de  l’Ultimate Fighting Championship (UFC). Une visite qui n’a pas échappé au reporter du Jour, invité spécial et exclusif.

Il ne faut rater aucune opportunité.

Le calme de cimetière qui a régné ce vendredi soir du 10 juillet 2020 dans la salle du Dr Kuissi Martin de New-Bell, malgré la présence de plus de 30 boxeurs, était significatif de ce que personne ne voulait rater la moindre virgule de l’histoire de Francis Ngannou qui pourrait inspirer plus d’un. C’est avec un brin d’humour qu’il a pris la parole, s’adressant à Jean Paul Mognemo, le Directeur Technique National de la fédération Camerounaise de Boxe, entraineur du noble art depuis 34 ans, et formateur de celui qui est aujourd’hui le prédateur : « Coach, comment ils sont nombreux comme ça aujourd’hui ? C’est parce qu’on leur a dit que je viendrais ici ? En tous cas les gars, je vous félicite. Il faut croire en ses chances, et nous allons créer des opportunités. Il faut s’en servir, ne rien lâché. Aujourd’hui, je suis celui que tout le monde admire, amis le chemin a été très difficile pour arriver là. Vous voulez que je vous raconte ? Comme dans un chœur de studio, les jeunes boxeurs ont jubilé en applaudissant.

Les gars, je cassais moi mes pierres à Batié mon village, quand mon oncle est venu me chercher pour venir en ville ici à Douala. (Son oncle Maurice Happi, ancien DTN de Tennis l’emmène au Sawa Land, un club de tennis situé à Bonamoussadi dans le 5ème arrondissement, ndlr). Cette affaire de tennis-là ne me plaisait pas. Je voulais bagarrer. C’est ainsi que mon oncle m’emmène rencontrer le coach Mognemo ici. Dans leur causerie, j’entends le coach lui dire : il lui faut des bandes, des gants pour commencer. Je faisais beaucoup de petits métiers comme le bend skin (conducteur de moto-taxi), ou encore chargeur des camions de friperie au marché Mboppi. Comme je voulais absolument faire la boxe (bagarrer), j’ai dû vendre ma moto pour acheter mon premier matériel. Je me rappelle que le coach m’a emmené à une boutique Smart Sport à Akwa où nous avons tout acheté. Je me rappelle d’ailleurs que le propriétaire de ladite boutique (Jean Paul Foundjio,  directeur de smart sport, ndlr) m’a offert un short cadeau. Donc, les gars, j’ai acheté moi-même ma première paire de gants pour commencer la boxe ici où vous commencez. Comme j’habitais d’ailleurs loin d’ici, j’ai aussi acheté un vélo pour venir aux entrainements.

Je n’ai pas arrêté mes petits boulots.

Comme on s’entraine trois fois par semaine (lundi, mercredi et vendredi), j’allais toujours à Mboppi pour charger les camions de friperie. C’était dur aux entrainements, très dur. Quand tu reçois des coups, tu te dis que tu dois arrêter. Tu as mal et tu en parles avec tes amis au marché qui te conseillent d’abandonner. Tu entends les gens te dire : « tu veux faire la boxe pourquoi ? Qui a déjà réussi là-dedans ? Les Jean Marie Emebe, les Watabèlè n’ont rien fait. C’est toi qui va faire quoi ? La boxe ça donne la maladie de Parkinson. La boxe c’est un sport de voleurs. Il ya des jours où tu refuses de décharger un camion parce que tu ne veux pas arriver en retard à l’entrainement. Le lendemain, quand tu demandes 300 francs Cfa à quelqu’un pour manger un plat de pilés, il te dit d’aller chercher les 300 à la boxe. Malgré tous ces obstacles, tu dois résister. Ici aussi aux entrainements, tu reçois des coups, et tu ne sais plus quoi faire. Mais j’ai résisté, parce que je savais qu’il n’y avait que dans la bagarre que je pouvais être le plus fort. J’ai même abandonné les entrainements pendant un an, pour cause de l’hépatite B. Une période très difficile, mais je suis revenu pour continuer.

J’ai pris la route pour l’aventure

J’ai continué à travailler au marché et aux entrainements. Un jour, je me rappelle que c’était en avril 2012, j’ai pris mon sac pour aller en aventure. Direction, le Maroc. J’ai vu l’enfer, mais je ne pouvais pas rentrer. Après tout ce qu’on connait de la traversée par la mer, (il n’en parle pas par pudeur), destination l’Espagne, puis  je suis entré en France. Quand je suis arrivé à Paris, je dormais dans la rue, j’étais tout seul. C’était dans un parking, dans le 12ème J’avais à peine 100 euros. Il y a des gens qui disaient ; ça doit être difficile avec ta situation comme tu dors dans la rue. Moi je disais : mais, de quoi ils parlent ? Moi j’étais content. Ceux qui me rencontraient me disaient : tu risques d’être déçu, parce que la France, ce n’est pas aussi le paradis tel que tu l’imagines. Je leur dis : je ne veux pas le paradis. Le paradis dont je rêve est mon paradis. Et croyez-moi, je vais créer mon paradis. Je deviens bénévole dans une association humanitaire, la Chorba. Je participe à la production des repas à distribuer aux personnes en difficulté. Là, mon repas est garanti, et j’ai trouvé une salle où on m’a accordé de m’entrainer gratuitement, et j’ai commencé à m’entrainer. Et là, je rencontre quelqu’un (Didier Carmont, ndlr) qui me conseille de faire le MMA, il pense que mon potentiel est bon pour cette discipline. Je rencontre  un autre avec qui je dois m’entrainer à cette discipline (Fernand Lopez, son entraineur, ndlr) Je commence par gagner un tournoi  de 100% fight. J’ai gagné un peu d’argent. Comme le MMA n’est pas encore reconnu en France (n’a été reconnu en France que depuis janvier 2020, ndlr), je dois aller aux Etats-Unis pour combattre. Je ne voulais pas du MMA, mais de l’argent qu’on me proposait. Dix mille dollars en cas de victoire. Quand je dois aller aux Etats Unis pour mon premier combat, j’arrive à l’aéroport, et je vois un monsieur qui porte une pancarte de l’UFC  avec mon nom dessus. Je dis dans mon cœur : je suis déjà arrivé. Il m’emmène vers une grosse voiture, et je suis logé dans un cinq étoiles. Là encore, je me dis : « allez dire à ma mère que je suis arrivé ». Dans la vie, certaines satisfactions peuvent aussi être les freins à l’évolution. Il faut savoir où on va.  Il me fallait à chaque fois me remotiver. Quand je vais entrer dans la cage pour mon premier combat aux Etats Unis, je ne connais même pas le règlement de cette histoire. Je regarde autour de moi, je suis seul. Il y a tellement de lumières que je ne vois même plus bien. J’ai peur. Mais, comme déjà ici dans mes débuts, tu as peur, mais même ton adversaire a peur. Il ne sait pas ce qui l’attend. C’était pour moi un test d’entrée, comme si tu allais à un entretien d’emploi, et tu espères que la réceptionniste va t’écouter.

Je me motive, tout passe par ma tête. Je me rappelle que je faisais le bend skin au Cameroun, et je dormais à la belle étoile au Maroc.

J’avais mes nattes sur la tête, et je me suis dit, c’est la bagarre. Ce gars ne doit pas me battre, il ne doit pas me dépasser. C’est ce que j’ai voulu faire dans ma vie, voici le moment de prouver que j’ai fait le bon choix. Mon adversaire m’a emmené une fois au sol, et j’ai vu que je devais être en difficulté là-bas. Quand je me suis relevé, je l’ai acculé avec un enchainement et j’ai terminé avec un crochet, le combat était terminé. C’était incroyable, les Américains m’ont donné le surnom de Prédator. A la fin, c’est le président de l’UFC lui-même qui a tweeté, qu’un nouveau prédateur est arrivé dans la discipline. Vous espériez la réceptionniste, c’est le Grand Dana White, président de l’UFC qui fait un tweet pour célébrer ton entrée, là, j’étais vraiment arrivé. Alors que j’attends les appréciations de la réceptionniste, c’est le DG qui m’a apprécié. Il y en a qui font 3 ans sans qu’on connaisse leur nom, mais moi je suis entré dans l’histoire le premier jour.

 

 

La richesse c’est dans la tête.

Quand je suis revenu au Cameroun, plusieurs personnes qui essayaient de me décourager d’abandonner la boxe, me disent : je veux que mon fils devienne comme toi. Comment on fait ? Que doit-il faire pour réussir ? Je leur dit que je ne suis pas marabout pour savoir ce que doit faire l’enfant pour réussir.  Et moi je me dis dans mon cœur : ce n’est plus le sport des bandits ? Vous savez, quel que soit ce que vous choisissez de faire dans la vie, il faut croire en vos possibilités, être honnête, discipliné, essayez de bien représenter votre discipline, votre choix. Il ne faut pas que votre nom soit cité dans votre quartier quand on cherche une poule ou des œufs. L’entrainement est difficile, mais vous avez fait le bon choix, et un jour, le travail va payer. La richesse, c’est dans la tête.

Aujourd’hui, le travail a payé, Francis Ngannou n’est plus n’importe qui. Mais de Batié dans mon enfance, jusqu’aux Etats Unis aujourd’hui où je vis, le chemin a été parsemé de grosses difficultés. Vous aussi, vous pouvez le faire. Nous allons créer les opportunités, à vous de les saisir.

A propos de son combat contre Hoga

Moi, je n’aime pas les défis. Un Camerounais me dit qu’il va me taper en huit secondes ? Je suis là pour ça. Le 22 août 2020, nous allons régler ça. J’avais toujours prié de ne pas tuer quelqu’un avec mes mains, mais je ne sais pas comment je vais faire pour qu’il ne meure pas. Je vais le boxer comme tous les adversaires, sans pitié. Si mes combats finissent toujours très rapidement, c’est parce que je veux garder mon physique de mannequin toujours en bonne forme. Quand vous regardez mon visage, je n’ai pas les bosses des autres, parce que je dois protéger ma tête. Et pour le faire, il faut rapidement expédier mes adversaires. Un jour, un Monsieur me dit mais ton combat n’a pas duré, nous n’avons pas pris du plaisir. Je lui ai répondu qu’il aille boxer lui aussi, et de faire durer le sien. Moi, je dois protéger mon physique, je dois être expéditif.

Francis Zavier Ngannou est un Camerounais fier de l’être, qui porte gaillardement ses 197 centimètres et ses 117 kilogrammes,  une montagne de muscles dans un  corps de mannequin.  Né le 5 septembre 1986 à Batié dans l’ouest du Cameroun, deuxième d’une fratrie de cinq enfants,  vivant à Las Vegas dans le Nevada aux USA. Depuis son entrée dans le MMA, il compte 17 combats professionnels. Avec trois défaites et 14 victoires, 11 par KO  dont 10 avant les 90 secondes. Il prépare un championnat du monde d’un autre genre qui se déroulera sur ses terres du Cameroun le 22 août 2020.

David Eyenguè