Professeur Emile Mboudou, Directeur de l’hôpital Gyneco-obstétrique et pédiatrique de Douala

Professeur, plusieurs bagarres sont observées dans les institutions hospitalières ces jours-ci au sujet des corps de parents décédés. Pouvez-vous comprendre ou expliquer ces attitudes des familles ?

Vous soulevez-là un problème important. Nous sommes de tribus bantoues, et dans nos habitudes, dans nos cultures, il y a une façon de gérer le deuil. Et gérer le deuil c’est d’aller enterrer sa personne, la personne aimée dans son village de façon que de temps en temps, on se lève pour aller voir sa tombe. Maintenant, nous sommes dans une situation particulière où c’est une nouvelle affection, et nous ne savons pas ce qu’elle est. Et les pouvoirs publics ont pensé qu’il y aurait probablement un risque pour pouvoir transporter ces corps. A tort ou à raison, et donc pas principe de précaution, il n’est pas question de remettre les corps aux familles au cas où ces familles auraient besoin de manipuler les corps. Parce que vous savez qu’il y a des tribus qui font des autopsies traditionnelles. Et là, ils vont se contaminer d’une affection dont nous ne connaissons pas encore les tenants et les aboutissants. C’est pour cela que les pouvoirs publics ont exigé que les corps soient enterrés dans le périmètre urbain où les personnes décèdent, lorsqu’il est prouvé que le patient est décédé de covid 19 pour protéger la famille. Mais malheureusement parfois, par l’émotion et parfois le manque d’information, les populations ne sont pas d’accords sur le fait qu’on leur demande d’enterrer leurs corps dans le périmètre urbain de la ville là où le corps est décédé. Ce d’autant plus que pour certains d’entre eux,  le test sanguin qui démontre qu’on a le covid 19 n’a pas été fait. Or, en médecine, le diagnostic n’est pas toujours biologique. Il peut être clinique, il peut être un autre examen comme la radiologie. Et aujourd’hui, la radiologie a une meilleure sensibilité que le test au laboratoire. Il faut comprendre la douleur des populations, mais il faut aussi comprendre les pouvoirs publics qui veulent protéger les populations de la maladie qui est déjà au niveau communautaire. Il ne faut pas l’aggraver à travers la manipulation des corps.

Il y a pourtant une théorie faite par un de vos collègues, selon laquelle un mort de covid 19 n’est pas dangereux, à condition de ne pas faire l’autopsie. Est-elle vérifiée ?

Il a raison, et ce n’est pas notre collègue qui l’a dit, c’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). L’OMS pense que les corps décédés de covid 19 ne pourraient pas être dangereux. Mais il faut savoir que lorsqu’on dit quelque chose, il y a le contexte, il y a l’environnement. Dans certaines cultures, cela peut poser problème. C’est pour cela que par principe de précautions, pour le moment les pouvoirs publics sont en train de réfléchir sur comment mettre en place quelque chose de clair et précis pour tous ces corps pour éviter les tiraillements entre les familles et les formations hospitalières.

Et pourtant certaines familles font semblant d’accepter cet « arrangement », mais exhument après pour transporter là où le défunt avait souhaité. Qu’est-ce qui est fait pour contrôler cela ?

Il est difficile pour moi de me prononcer, parce que moi je suis à l’hôpital. Je ne peux pas savoir ce que les gens font. Mais c’est très dangereux d’aller manipuler un corps qui peut être contagieux.

Propos recueillis par David Eyenguè