Jean Paul Mognemo, l’entraîneur qui a formé Francis Ngannou à la boxe anglaise

explique pourquoi le champion de MMA n’a pas boxé au niveau national au Cameroun.

Au lendemain d’une victoire comme celle de Francis Ngannou d’hier, comment vous sentez-vous ?

Je me sens heureux. Parce que tout parent a besoin de voir son enfant émerger. Qu’il atteigne l’objectif qu’il s’est fixé, le maximum, le firmament de sa discipline. Je suis heureux de le voir à ce niveau mondial dans sa discipline le MMA. La base de tout ceci, c’est la boxe anglaise qu’il a pratiquée avec moi. Quand vous observez, il a une grosse vitesse des bras. C’est très rare de trouver les gars très rapides chez les super lourds. Alors qu’ils sont généralement lents, lui Francis Ngannou a la vitesse et il est endurant, et aussi quelque chose qui manque chez les poids lourds, le cran, le courage. Comme on dit chez nous, « il a le cœur ». Ngannou c’est un gars très posé avec un gros cœur comme on dit. En plus, il est encore jeune, il peut encore faire une très longue carrière, il n’a pas de blessures, il peut encore rester sur le toit du monde pendant longtemps.

Comment expliquer que Francis Ngannou ne soit pas connu des médias au Cameroun pour ses prouesses ici, et qu’on le découvre à l’international en MMA. Ngannou a-t-il boxé ici ou non ?

Ngannou a boxé ici au Cameroun jusqu’au niveau régional. Parce que à l’époque, j’avais des boxeurs très chevronnés dans sa catégorie et je le préparais juste pour leur remplacement. J’avais Yepmo Ondoua Blaise qui était champion du Cameroun et champion d’Afrique dans la catégorie des super-lourds, et qui avait commencé dans les petites catégories avant de monter, c’était un boxeur très efficace et technique et je ne voulais pas exposer Ngannou qui était très jeune. Je l’ai préservé et je me disais que c’est après le départ des autres qu’il devait prendre la relève sur le plan national. Mais malheureusement, au moment où les autres partaient, il a suivi leurs traces et il est allé en France, pendant que les autres restaient à Londres après les jeux olympiques de 2012. Il était un peu pressé d’émerger, et il ne m’a pas dit. Je le préparais pour la relève des autres comme j’ai toujours fait. Généralement, je sais que après les JO ou les championnats du monde, ils s’en vont parce qu’ils n’ont plus rien à prouver ici. Mais il a encore quelques-uns de ses coéquipiers comme les Wafo qui sont encore là. Au dernier tournoi des poids lourds dans la région du Littoral, il avait fini deuxième sur six. Plus tard, quand je le vois dans la cage  avec le drapeau du Cameroun, je me dis : Ok, je n’ai pas perdu.

Comment arrive-t-il dans votre équipe ?

Je travaille généralement les lundis, mercredis et vendredis depuis plus de trente ans dans la salle de l’unité  à New-Bell. Tous les collègues connaissent ce programme qui permet aux élèves d’avoir le temps d’étudier, un soir, Monsieur Happy qui était entraîneur régional de tennis est venu me voir avec lui en me disant : voilà un de mes enfants qui a arrêté avec l’école, et je voudrais que tu en fasses un champion. J’avais un souci, c’était la distance. Je lui ai dit : toi tu habites Bonamoussadi, comment fera-t-il pour venir à New Bell aux entraînements ? Et il m’a répondu qu’on va se débrouiller pour qu’il arrive. Et il lui a acheté un vélo, et c’est avec ce vélo qu’il venait aux entraînements. Voilà comment il a travaillé pendant quatre années avec moi avant de s’en aller.

Quel genre de gosse était-il  pendant ces quatre années ?

Il ne parlait même pas. C’était un garçon très calme, mais déterminé. Il savait ce qu’il voulait, et quand il avait le moindre souci, il venait me demander comment s’en sortir.

Comment accueille-t-on un boxeur qui arrive jeune et déjà poids lourd ?

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le poids. Ce qui m’intéresse, c’est son âge à l’entrée. Est-ce qu’il est encore malléable ? N’a-t-il pas fait une autre discipline de combat avant ? Parce que dans ce cas, il y a les réflexes qu’il faut refaire. S’il n’a pas encore été blessé, c’est une aubaine. Et comme il avait entre 19 et 20 ans, avec plus de 90 kilogrammes, c’était très intéressant avec sa grande taille. Les poids lourds, c’est ce qu’il y a de plus rare dans la boxe. Avec sa volonté, c’était un acquis.

Propos recueillis par David Eyenguè